« L’effacement de la dette par les créanciers dans l’Antiquité leur permettait utilement d’éviter la colère populaire » Joël Giraud, secrétaire d’État

Question du député Joël Giraud le 25 juin 2015 au Gouvernement au sujet du Sauvetage de la Grèce :

M. le président. Nous en venons aux questions au Gouvernement sur des sujets européens. La parole est à M. Joël Giraud, pour le groupe radical, républicain, démocrate et progressiste.

M. Joël Giraud. Monsieur le ministre des finances, l’échéance du 30 juin, à laquelle la Grèce doit rembourser au Fonds monétaire international la bagatelle de 1,6 milliard d’euros, n’a jamais été aussi proche. Pour cela, la Grèce doit obtenir la reprise de l’aide financière de ses créanciers européens, par le biais principalement du Fonds européen de stabilité financière, dans le cadre d’un accord ardu sur une série de réformes et mesures budgétaires drastiques dans un pays déjà asphyxié.

À notre époque postmoderne, le paradoxe ne choque plus. En effet, les créanciers prêtent à l’État grec pour que celui-ci les rembourse, à la condition supplémentaire qu’il applique des mesures d’économies subsidiaires. Ce cercle économique vicieux est devenu le principe même de l’endettement de nos États.

Je me permettrai un petit détour historique, ce qui permet souvent de renouer avec le sens pratique.

Dès les temps de la Mésopotamie antique, les rois babyloniens effaçaient l’ardoise lorsque la machine économique et sociale se grippait. Les empereurs sumériens avaient trouvé une solution simple : ils coupaient la tête aux prêteurs et observaient un principe de jubilé – tous les 49 ans, les dettes étaient annulées et les esclaves retrouvaient leurs biens. Bien plus tard, la loi biblique du jubilé disposait que les dettes seraient automatiquement annulées tous les sept ans.

Selon David Graeber, universitaire mondialement connu pour son récent best-seller Dette : 5 000 ans d’histoire, l’effacement de la dette par les créanciers dans l’Antiquité leur permettait utilement d’éviter la colère populaire qui aurait poussé les paysans à brûler les tablettes, papyrus, grands livres et autres registres de dettes.

Plus récemment, le Plan Marshall, en effaçant une partie de l’accumulation de la dette allemande, a permis au continent européen de renaître après la Seconde guerre mondiale, sans que personne ne s’en offusque, ni sur le plan moral, ni sur le plan économique. L’Islande, quant à elle, est sortie récemment de la crise en effaçant les dettes des ménages et des PME.

Les prêts bilatéraux de la Grèce les plus problématiques auprès des pays de la zone euro ne représentent que 16 % de l’ensemble de la dette qui menace la stabilité financière de l’Europe : ce n’est pas marginal, mais c’est mineur.

Monsieur le ministre, ma question est simple : comment justifiez-vous que, dans les sommets en cours, le reprofilage la dette grecque soit relégué au rang de sujet de seconde importance ? (Applaudissements sur les bancs du groupe radical, républicain, démocrate et progressiste, du groupe socialiste, républicain et citoyen et plusieurs bancs du groupe de la Gauche démocrate et républicaine.)

M. le président. La parole est à M. le ministre des finances et des comptes publics.

M. Michel Sapin, ministre des finances et des comptes publics. Monsieur le député, vous êtes plusieurs sur ces bancs à m’interroger sur la situation de la Grèce, les relations entre la Grèce et ses partenaires européens et les négociations qui vont reprendre cet après-midi et ce soir – je vous quitterai d’ailleurs pour rejoindre l’Eurogroupe et mes collègues, les autres ministres des finances, pour parler avec notre collègue grec d’une issue qui doit être positive.

Je vous redis la position de la France, qui a été exprimée très clairement par le Président de la République, voilà quelques heures, au sommet de l’Eurogroupe à Bruxelles : la France veut un accord global, parce que nous voulons un accord durable.

Dans l’accord global, la question de la dette n’est pas taboue. Elle devra être abordée, même si elle n’est pas la plus urgente ou la plus nécessaire dans un premier temps. Elle fait partie des sujets qui sont sur la table et n’est donc pas exclue.

Mais, monsieur le député, même si j’ai pu admirer vos connaissances historiques et votre capacité à déchiffrer, sur les tablettes babyloniennes, le cunéiforme dans le texte (Sourires), je voudrais souligner une différence entre ce à quoi vous avez fait allusion au cours de l’histoire – dont on peut éventuellement décrire les effets dans l’actualité – et la question de la dette grecque : les Grecs ne doivent pas aux marchés financiers, à des banquiers qui viendraient s’enrichir sur leur dos,…

M. André Chassaigne. Ceux-là ont été remboursés !

M. Michel Sapin, ministre. …mais à nous tous, contribuables français, européens, allemands, espagnols, italiens, lituaniens, slovaques, slovènes – parfois même aux contribuables de pays qui sont eux-mêmes dans une situation économique très difficile.

C’est parce que c’est une dette vis-à-vis des États que la question doit être traitée entre États. Il s’agit de trouver une solution durable et solide, et c’est ce à quoi nous allons aujourd’hui travailler. (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste, républicain et citoyen.)

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